La fenêtre et la façade occidentale de l’église de Tomar
La fenêtre et la façade occidentale de l’église de Tomar
La renommée de la fenêtre de la salle capitulaire a un peu occulté l'ensemble plus vaste et complexe auquel elle appartient et qui fut conçu pour glorifier, en le mythifiant, le roi Don Manuel. La façade occidentale de l'église était, de toutes les façades extérieures, la plus chargée d'intentions. C'est à elle qu'incombe un rôle héraldique essentiel, avec un contenu emblématique auquel s'associe une infinité de combinaisons d'éléments naturels ou non, traités avec une fantaisie surréaliste.
La façade occidentale est délimitée latéralement par deux volumineux contreforts, à base polygonale et partie haute cylindrique. L'ensemble est couronné par une frise où alternent la croix du Christ et la sphère armillaire. Au centre de la façade, se développe, exubérante, la fenêtre, couronnée par un fronton carré, semblable à un damier musulman traité comme une pièce de tissus frangée. Dans l'axe vertical, au-dessus de l'écu royal, réapparaît la croix du Christ, équilibrée latéralement par deux sphères armillaires. L'encadrement de la baie elle-même présente la juxtaposition et l'entrelacement de troncs d'arbre élagués, de chaînes, d'algues, de cordes, de racines, d'artichauts et de grelots, dans un assemblage décoratif qui rappelle certains travaux d'orfèvrerie contemporains ou les constructions éphémères des fêtes courtoises. A la base, on peut voir, supportant des racines de chêne sur les épaules, le buste d'un homme barbu coiffé d'un chapeau, récemment identifié comme Jessé, fondateur de la généalogie du Christ, d'après le livre d'Isaïe, abondamment utilisé par les écrivains de la Cour de Don Manuel pour expliquer le destin providentiel du monarque qui d'ailleurs avait le même nom que le Rédempteur : Emmanuel.
Les contreforts latéraux se présentent, sur leur section cylindrique, sous l'aspect de troncs d'arbre et de racines, entières sur l'un et taillées sur l'autre. Le contrefort sud est entouré d'un ceinturon avec une boucle exubérante, au-dessus duquel on peut voir quatre hommes en armure avec leurs blasons. Le contrefort nord, lui, est ceint d'un collier fait de larges anneaux, surmonté par trois anges également porteurs de blasons. Si l'emploi du ceinturon et du collier, et leur échelle, peut surprendre, il n'en sont pas moins identifiables comme étant les insignes, respectivement, de l'Ordre de la Jarretière et de l'Ordre de la Toison d'Or, dont le roi Manuel était membre. L'insigne de la Toison d'Or, conféré par Maximilien, l'empereur d'Allemagne, était assimilé à la chevalerie spirituelle, par opposition à la chevalerie mondaine de l'Ordre de la Jarretière. Cette opposition du règne spirituel et du règne temporel est confirmée par le binôme rois en armes/anges héraldiques détenteurs tous du statut de hérauts ; et par le contraste entre les racines entières et les racines taillées, ces dernières étant coupées du monde terrestre.
La façade occidentale est traversée par des cordes horizontales, dont l'une d'elles possède des formes circulaires enfilées qui peuvent suggérer des flotteurs.
Ainsi, le programme élaboré pour la façade occidentale de l'église du Couvent du Christ présente Don Manuel en chevalier par excellence et en sauveur de la chrétienté, le plaçant dans une situation ambiguë entre le monde temporel et extra temporel. Un discours similaire apparaît encore plus clairement dans la Chronique de Don Manuel, écrite par Damião de Gois, et dans le portrait du monarque que le prieur de l'Ordre de Saint Augustin, Frère Egídio de Viterbo, a fait, en 1507, devant la Cour papale de Jules II. Le dispositif allégorique de Tomar se retrouve dans beaucoup d'autres commandes artistiques manuélines, mais jamais à un tel niveau de complexité.